Opéra Bastille, Paris • 19.9.08 à 19h30
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Fayçal Karoui.
J’ai choisi ce programme parmi les soirées proposées par le New York City Ballet pendant son séjour parisien parce qu’il commence et se termine par de la musique de comédie musicale. L’occasion aussi de revoir Fayçal Karoui, le directeur musical de cette prestigieuse institution new-yorkaise, qui m’avait beaucoup impressionné dans Le Chanteur de Mexico.
Je ne sais pas si c’est un hasard, mais le New York City Ballet se produit à New York dans un théâtre qu’il partage avec le New York City Opera, dont le Directeur Général et Artistique à compter de la rentrée 2009 ne sera autre qu’un certain Gerard Mortier.
Carousel (A Dance). Musique : Richard Rodgers. Chorégraphie : Christopher Wheeldon (2002). Solistes : Benjamin Millepied, Tyler Peck.
La comédie musicale Carousel (1945) est l’un des gros succès du duo Richard Rodgers (musique) et Oscar Hammerstein II (livret et lyrics). Le chorégraphe anglais Christopher Wheeldon (chorégraphe en résidence au New York City Ballet de 2001 à 2008, mais aussi chorégraphe de la comédie musicale Sweet Smell of Success) a imaginé en 2002, pour le centenaire de la naissance de Richard Rodgers, un court ballet utilisant deux des pages musicales les plus célèbres de Carousel : la fameuse “Carousel Waltz” et “If I Loved You”, dans des orchestrations délicieuses de William David Brohn. C’est frais et mignon ; le bouquet final est magnifique… et j’ai été heureux de revoir le danseur français Benjamin Millepied (déjà vu à New York en février dernier).
Tarantella. Musique : Louis Moreau Gottschalk. Chorégraphie : George Balanchine (1964). Solistes : Megan Fairchild, Joaquin de Luz.
Cette chorégraphie de Balanchine, le co-fondateur, du New York City Ballet, s’appuie sur un arrangement de la Grande Tarantelle de Gottschalk signée du génial Hershy Kay (orchestrateur de nombreuses comédies musicales). J’ai toujours aimé la musique de Gottschalk, aux accents étonnamment ravéliens pour un compositeur originaire de Louisiane. La Grande Tarantelle n’est sans doute pas son œuvre la plus remarquable et elle sert ici de support à une balanchinerie assez terne et monotone, un exercice de virtuosité convenu pour un couple de danseurs en costumes bucoliques munis de tambourins qu’ils manipulent au rythme de leurs pirouettes. Quand on pense qu’elle a été créée sept ans après West Side Story, on reste songeur : elle donne plutôt l’impression d’avoir un siècle de plus.
Ce qui est ennuyeux, avec les danseurs américains, c’est que seule semble compter la force physique. Le style des deux solistes est passablement laid. L’absence de grâce et de fluidité nuisent à la perception d’un exercice qui se résume du coup à une séance de gymnastique. J’aimerais beaucoup voir la même chorégraphie exécutée par le Ballet de l’Opéra de Paris (je sais pas/plus si la pièce est à leur répertoire) ; je suis sûr qu’elle en serait transfigurée.
Pendant les saluts, j’entends des “bravo !” exaltés juste derrière moi. Je me retourne : c’est Pierre Bergé.
Barber Violin Concerto. Musique : Samuel Barber (Maxime Tholance, violon). Chorégraphie : Peter Martins (1988). Solistes : Sara Mearns, Ashley Bouder, Charles Askegard, Albert Evans.
Cette pièce est la seule du programme à ne pas avoir de lien évident avec la comédie musicale… et ce fut, de loin, le sommet de la représentation. Le sublime concerto pour violon de Barber fournit au chorégraphe Peter Martins (le “Maître de ballet en chef” du New York City Ballet) la toile de fond à une création magnifique pour deux couples de danseurs, l’un “classique”, l’autre “contemporain”.
Si le premier mouvement est un peu poussif, les deux suivants, consacrés à deux magnifiques pas de deux, pour le couple “contemporain”, d’abord, puis pour le couple “classique”, sont de toute beauté. La richesse du langage chorégraphique de Martins est successivement source d’admiration, d’amusement et d’émotion. Là encore, on se prend à imaginer les sommets qu’atteindrait l’œuvre si elle était interprétée par des danseurs un peu plus grâcieux.
Curieusement, le violoniste Maxime Tholance, qui a donné une interprétation plus que solide du concerto de Barber, ne vient pas saluer. Mon espion du premier rang m’indique qu’il semble y avoir eu une forte tension entre Tholance et Karoui à la fin de l’œuvre. De toute façon, au ballet, on considère la musique comme une nécessité de troisième ordre.
West Side Story Suite. Musique : Leonard Berstein. Lyrics : Stephen Sondheim. Chorégraphie : Jerome Robbins (1957/1995). Solistes : Robert Fairchild (Tony), Andrew Veyette (Riff), Amar Ramasar (Bernardo), Jenifer Ringer (Anita), Faye Arthurs (Maria), Gretchen Smith (Rosalia).
Le programme s’achève par une suite extraite de la comédie musicale West Side Story. L’occasion de retrouver la sublime chorégraphie de Jerome Robbins (que Balanchine eut l’intelligence de faire entrer au New York City Ballet en 1948 afin d’y développer un style nouveau qu’il se savait bien incapable de cultiver).
Il s’agit d’une succession de plusieurs numéros musicaux de West Side Story, essentiellement ceux qui font appel à un effectif de danseurs significatifs : le Prologue, “Something’s Comin”, le “Mambo”, “America”, “Cool”, la scène de la bagarre et le “dream ballet” conduisant à “Somewhere”. Surprise : les chansons sont chantées… la plupart du temps par les danseurs eux-mêmes, sauf Tony (Robert Fairchild), qui est doublé par un chanteur présent sur le côté de la scène.
L’Orchestre de l’Opéra de Paris a un peu de mal à se sentir à l’aise avec la partition de Bernstein, qui relève d’un style qui ne lui est pas très familier. Il y a de très jolis passages, mais aussi des moments de pure panique, notamment dès qu’une syncope pointe le bout de son nez. Le batteur, en tout cas, s’éclate.
Quant à la géniale chorégraphie de Robbins reconstituée avec amour par le New York City Ballet, il n’y a plus personne aujourd’hui pour lui contester son statut de chef d’œuvre. Paradoxalement (compte tenu de ce que j’ai écrit plus haut), il y a des moments où les danseurs donnent peut-être un peu trop dans le “joli”, au détriment de la force primitive que Robbins a voulu mettre en avant pour illustrer l’affrontement entre les deux gangs.
Ça reste malgré cela un fort beau moment de danse, même s’il y a quelque chose de très réducteur à isoler ainsi une chorégraphie conçue avant tout pour accompagner et servir une pièce de théâtre, ses personnages et ses tensions.
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